Une histoire entièrement vraie sur des événements et des personnes qui, pour la plupart, n’ont jamais existé

1.

La duchesse Mathilde de Boton était une enfant mal élevée.

Non qu’il lui manquât des précepteurs, des nourrices, ou des professeurs de musique, de philosophie, de sciences, de langues, de géographie, d’astronomie, de guématria ou d’astrologie.

Ses parents ne lui avaient rien refusé – ni leur argent, ni leur sévérité.

Mais rien n’y fit.

Le jour de son sixième anniversaire, en plein dîner, elle se leva sur sa chaise et déclara de sa voix fluette, avec le sérieux solennel réservé aux enfants de six ans, qu’elle avait pris une décision :

quand elle serait grande, elle voyagerait à travers le monde, et, en conséquence, elle avait décidé de se comporter dès lors à la manière des peuples de l’Orient.

À partir de ce jour, elle cessa d’utiliser fourchettes et cuillères, et porta la nourriture à sa bouche en utilisant uniquement sa main droite.

À l’âge de seize ans, la duchesse fit sa valise dans laquelle elle rangea : un chapeau à larges bords, deux pantalons bouffants de cycliste façon bloomers, une trousse de premiers secours signée Robert Wood Johnson, le livre Wheel Within Wheel de Frances Willard, et un exemplaire rare, signé et traduit en français, de l’article célèbre Cycling World Illustrated de Sarah Grand.

Dans sa malle de voyage, soigneusement rangé, reposait un « safety bicycle » de la marque Whippet, équipé de la dernière invention de John Boyd Dunlop – des pneus gonflables.

Et c’est ainsi que, le 28 mai 1900, veille de la fête de Chavouot, au moment précis où la lune obscurcit le soleil et que la nuit tomba en plein jour, Mathilde de Boton monta à bord d’un navire dans le port de Marseille, cap sur Saint-Jean-d’Acre.

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2.

Nadia portait son nom avec fierté. Elle était optimiste et pleine de force, sans gêne et sans limites.

« Ay, esta kriadora! Salió sin vergüenza ni respeto. »(Aïe, cette enfant-là ! Elle est sortie sans honte ni respect) disait tante Rosa à son sujet.

“Une fille perverse et rebelle. Tout comme ton arrière-grand-mère. Des yeux bleus d’Ashkénaze, mais qui se comporte comme une sauvage et sa bouche – Boca de gora.”

À l’âge de six ans, Nadia savait déjà presque tout.

À douze ans, elle avait vu déjà presque tout.

Et à seize ans, elle avait essayé déjà presque tout.

Noam, lui aussi, portait son nom avec fierté.

Il était calme et gentil, maladif et rêveur, un peu timide et manquant de confiance en lui.

Il aimait Nadia de tout son cœur depuis ce malheureux accident de vélo, le dernier jour de CE2.

Des journées entières, il restait dans sa chambre, caressant son doigt tordu — souvenir de leur première rencontre — et imaginait le jour de leur mariage et le jour de leur mort.

Il la suivait parfois pendant des heures, ou bien s’asseyait sur le balcon à réciter des paroles de Coplas de amor y dolor en répétant son nom encore et encore et encore.

« Qu’est-ce que c’est que ça ? » demanda sa mère, née et élevée dans la ville de Łódź, mais qui, au fond de son cœur, se sentait monastirite, comme si elle était la descendante directe du rabbin Raphaël Moshé Attias Koulouri en personne.

« D’abord vient la femme, ensuite l’amour, et seulement après la folie. Chez toi, c’est l’inverse, bourico. »

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3.

Il avait quatre-vingt-douze ans.

Il se tenait à peine debout, entouré de proches plus ou moins éloignés, et semblait fragile, fané et perdu.

« Ce n’est pas juste, Querida Mía. Des années tu m’as accompagné, des années tu m’as soutenu, j’aurais dû partir le premier. »

Et ce n’était effectivement pas juste.

Il aurait vraiment dû partir le premier.